Extrait de "Des avions de papier"
J’ai pour excuse à mon impatience, toutes ces années où j’ai bercé le fantôme d’un bébé. Un petit corps qui a tôt fait de quitter ma terre, mais une présence que j’ai gardée en veilleuse dans ma mémoire. Je ne l’ai pas rejetée, il ne faut pas le croire ! J’en ai fait ma prisonnière, lui ai arraché les ailes, ai balayé son corps pour ne jamais qu’elle me quitte. Elle a grandi à l’intérieur de moi. Je suis habitée par un ange.
Et si ce nouvel espoir s’éclipsait? Si ce poupon disparaissait avant terme comme sa grande sœur? Et si j’avais avorté mon seul espoir d’un bébé? Si j’avais tracé le chemin aux suivants, un raccourci les menant au néant, les propulsant au ciel prématurément? Éva voudra-t-elle se venger? Qui sait si les avortons sont rancuniers?
Heureusement, le nouveau fœtus s’est bien incrusté, il a pris toute la place. Elle lui est offerte avec joie, mais tout de même une pointe d’angoisse, dont il ne faut surtout pas parler. Ne jamais douter de la maternité, de son gamin, ni de l’amour que nous éprouverons pour lui. La simple crainte de devenir une mauvaise maman suffit à nous rendre indignes. On peut médire sur la vie, sur les autres ou sur Dieu, mais jamais sur les bébés. Ne pas aimer les vieux est compréhensible. Ils le demeurent bien trop longtemps. Haïr les baby-boomers-dont-je-suis est à la mode. Détester les hommes, quoi de plus normal? Ce ne sont que des lâches, des monstres ou des primates. Les pubs nous l’ont assez répété. Détester les femmes est déjà moins vertueux. Nous voilà misogynes ou jalouses. Si nous détestons les enfants, nous devenons la réincarnation du diable ! Les bébés naissent sans savoir que le droit à l’amour se hiérarchise, qu’il s'explique par des notions d’âge et de genre, sans comprendre qu’ils font partie de l’élite et que leur parcours sera une longue pente vers l’indifférence. La valeur d’une vie se déprécie aussi vite que celle d’une auto sport.
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